Crédit Vidéo : Studio de l’Éphémère
Le pôle éducatif du Val de Scarpe rassemble un accueil petite enfance et une école maternelle correspondant au regroupement de 3 établissements existants sur les communes d’Arras et de Saint-Laurent-Blangy. La démolition de l’école existante Georges Brassens constituant le démarrage du projet de reconversion urbaine du quartier voisin, le programme imposait un planning très contraint. La commande politique était celle d’une réception deux ans après le concours pour un type de programme qui se déroulait habituellement pour la ville d’Arras en quatre ans. A l’issue du concours et dans l’optique de réaliser les études en 10 mois, la mise au point du projet s’est organisée en ateliers réguliers de co-conception maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. La méthode a en particulier permis, malgré les contraintes de planning, de ne pas renoncer à travailler de manière très poussée sur les supports pédagogiques, mobiliers, équipements ludiques et numériques
Ensuite, pour répondre à l’objectif d’un chantier rapide, 15 mois, le projet s’est naturellement orienté vers une construction à ossature et charpente en bois optimisant les temps de fabrication et de pose en les superposant dans le temps aux travaux d’infrastructures. La mise en œuvre d’un socle en béton assurant l’adaptation à la parcelle en pente, le confinement d’une zone de terres polluées et l’intégration discrètes de fonctions techniques (chaudière bois, machines de ventilation, etc.) s’est déroulée concomitamment avec la préfabrication des murs, charpentes et menuiseries en atelier.
Le contexte social est celui d’une école où 37 langues sont parlées par les parents cette année scolaire et d’un programme qui accueillera dans la partie petite enfance de jeunes parents en situation précaire. Si le projet assume le rôle de moteur de développement du quartier en reconversion, son statut d’équipement marquant dans le paysage urbain, d’institution publique, il prend garde à rester un lieu accueillant pour les familles. C’est un enjeu d’autant plus difficile à assumer que les injonctions nationales incitent à transformer les écoles et les crèches en enceintes protégées des hypothétiques agressions extérieures.
Dans une parcelle en pente légère, le projet organise les fonctions principales du programme le long d’un axe Nord Sud ouvert entre la ville d’un côté et le paysage du Val de Scarpe de l’autre. Depuis la rue Jean Bodel au Nord, se succèdent, le parvis couvert, la salle de motricité, la cour de l’école maternelle et le préau en surplomb sur le paysage du Val de Scarpe. Cette transparence est une manière de rendre immédiatement lisible l’organisation des espaces pour les enfants et les enseignants et de projeter l’idée d’un lieu ouvert aux habitants du quartier. Il est assez spectaculaire de constater que, par ce dispositif, la frondaison de la ripisylve de la Scarpe apparaît dans la perspective centrale de l’école et cela dès le parvis d’entrée, projetant ce paysage naturel dans la rue, dans la ville. En plus des effets de transparence visuelle entre les espaces, très utiles dans le fonctionnement quotidien (depuis le parvis vers la salle de motricité pour l’accueil périscolaire, entre la cour et cette grande salle pour les jours de pluies, etc.) il est aussi possible d’ouvrir toutes les façades pour rendre l’ensemble des fonctions totalement poreuses entre elles depuis la rue à l’occasion des événements exceptionnels comme la kermesse de l’école ou des fêtes de quartier.
Les autres fonctions s’organisent autour de cet axe en formant deux volumes principaux. Sur l’arrière, un corps de bâti en compluvium inversé autour de la cour de récréation, sépare les salles de classes dans deux ailes latérales. Des galeries, utilisées comme espaces collectifs pédagogiques, jouent un rôle de tampon physique et symbolique entre la cour, espace du jeu et la classe, lieu de l’apprentissage. Le toit en pente ouvrant les façades sur le coté des galeries, des ensembles vitrées disposés au dessus des meubles de vestiaires laissent entrer la lumière en toute intimité depuis la galerie, permettant aux salle de classes de bénéficier d’apports de lumière sur deux cotés traversants, Est et Ouest. De l’autre côté, les bords de la parcelle sont séparés des arrières voisins par un mur de clôture en briques ménageant de très soignés petits jardins pédagogiques qui prolongent les classes à l’extérieur. On y retrouve des plates-bandes potagères, des bacs de récupération des eaux de pluie, des bancs, nichoirs pour les animaux réservés à chaque classe.
En complément de la figure réglée du bâtiment sur cour, un deuxième corps assure l’adaptation à la géométrie complexe du parcellaire. En s’enroulant à l’angle des rues principales, il protège la petite cour de la crèche à l’intérieur et fabrique un angle bâti, figure de proue du quartier, jumeau de la maison voisine en briques rouges. Construit sur deux étages pour répondre à l’échelle monumentale de l’usine en briques qui lui fait face dans la rue, il ménage de nombreuses doubles hauteurs, dispositifs de découverte du corps dans l’espace par les enfants.
La structure est assemblée à partir de douglas et sapin, le bardage et les menuiseries extérieures du bâtiment sont en mélèze, la menuiserie intérieure est en pin et en sapin. La série de fermes sous-tendues porte directement de façade à façade, permettant d’envisager une réversibilité complète du fonctionnement intérieur dans un temps proche ou lointain. La structure bois, les planchers et les fermes en particulier sont laissées visibles dans les classes, la salle de motricité, les galeries, etc. C’est une manière de rendre lisible pour les enfants la construction du bâtiment dans lequel ils évoluent comme un objet pédagogique.
Si la construction d’un équipement majoritairement en bois pour la structure et les revêtements intérieurs répondait aux objectifs environnementaux et calendaire du programme, la présence d’un ouvrage en bois dans une ville et un quartier en briques posait question. Il semblait pouvoir installer un effet de rupture, de singularité brutale. Par ailleurs, la façade d’une gigantesque usine en brique rouge à l’architecture industrielle caractéristique fait face au programme sur la rue Jean Bodel, installant une échelle monumentale dans un quartier majoritairement résidentiel et domestique. Pour ces deux raisons, les façades périphériques, construites en murs à ossature bois, sont recouvertes d’un peau en briques vertes. Cette deuxième couche est un appareillage autoportant, dessinée comme une dentelle sur un corps, laissant apparaître dans ses vides, des revêtements et ouvrages menuisés en bois. Elle assume sa préciosité dans un dessin et motif complexe de briques de terre cuite vertes, blanches et de laiton comme un tissu précieux, tissé de fils dorés.
Sur les façades principales d’entrée dans l’établissement et formant l’angle des deux rues, la dentelle installe une double lecture. A l’échelle du quartier, c’est l’idée d’une succession de piles massives en briques en réponse aux contreforts de l’usine qui lui fait face. A l’échelle domestique, lorsque l’on s’approche, on perçoit l’ambivalence de la peau. On lit les différentes couches de la façade indiquant que les briques sont appuyés sur une façade en bois, on comprend que les piles sont inversées formant le motif d’un tissu suspendu plutôt que celui de piliers posés sur le sol. Sur les cotés, contre les parcelles voisines, la peau en briques devient une clôture mettant à distance les façades de chaque classe et laissant apparaître dans l’épaisseur les jardins pédagogiques.
C’est cette ambiguïté entre l’idée d’une structure répétitive industrielle et d’un motif décoratif qui permet au projet d’être le point de repère dont ce quartier en reconversion avait besoin tout en ménageant une forme de discrétion, comme s’il avait toujours été là.
A l’intérieur, un important travail de co-conception avec les équipes de l’école et de la petite enfance a permis de mettre au point des mobiliers et des équipements en rapport avec les nouvelles ambitions pédagogiques. C’était aussi l’occasion de s’éloigner le plus possible des objets génériques de catalogue, produits à l’autre bout du monde pour les remplacer par des pièces d’artisanat, fabriqués et mis au point par des entreprises locales. L’ensemble des meubles fixes, placards et plans de travail dans les classes, les couloirs, salles collectives, espaces petites enfances ont été réalisées sur mesure en panneaux de trois plis dans un budget équivalent aux produits de catalogue. Par exemple, dans les classes, les meubles en croix, quatre objets singuliers de rangement et d’apprentissage sur roulettes, permettent des configurations multiples de sous-espaces particulièrement adaptés aux activités de jeunes enfants de maternelle. A l’inverse, les chaises et tables, longuement mise au point, en particulier sur la base de prototypes, ont été refusées par les agents de la PMI, jugeant plus sécuritaire le mobilier de catalogue.
Les ouvrages de serrureries, les bassins, les niches pour les oiseaux, les luminaires, la signalétique ont aussi fait l’objet d’un dessin spécifique et d’une fabrication sur mesure. Le dessin raconte un univers mythologique en faisant apparaître de manière abstraite des visages ou des corps animaux. En plus de mettre en valeur l’artisanat, ces attentions sont aussi une manière d’installer les enfants dans un univers auquel ils peuvent s’identifier, construire leur propre imaginaire car il n’est pas l’environnement générique dans lequel ils évoluent habituellement.