Boris Bouchet Architectes

Site en maintenance

72 AVENUE MARX DORMOY
63000 CLERMONT-FERRAND
04 73 95 06 25

120 AVENUE GAMBETTA
75020 PARIS
04 83 81 13 22

contact@milieux.fr

Transformation d’une ferme en 3 logements sociaux communaux à Domaize

 

 



 

 

 

 

Portraits de projets – Trois logements sociaux à Domaize

La communauté de communes du Pays de Cunlhat, implantée sur les hautes buttes des monts du Livradois, à l’écart de la métropole clermontoise, n’attire pas les bailleurs sociaux. Pourtant une grande partie de sa population est éligible aux logements aidés et un réel besoin existe, notamment aux extrémités des parcours résidentiels. Dans le but de compléter le petit parc de logements sociaux qu’elle gère directement, la collectivité a engagé la réhabilitation d’un ancien corps de ferme en une opération de 3 logements sociaux. Le bâtiment existant, s’ouvre sur le paysage de la vallée de la Dore à L’Est et s’implante sur la frange d’un hameau de quelques maisons, à l’écart du centre de la commune.

Quelques années auparavant, l’acquisition réalisée par la commune de Domaize, avait pour but l’installation d’un gite touristique dans le hameau de Terrolles. Les programmes de subventions touristiques disparaissant, c’est la communauté de communes qui a récupéré le bien et s’est opportunément tournée vers un projet de logements sociaux.

Patrimoine banal

A l’origine, la ferme est un bâtiment en très mauvais état, les planchers, la charpente, les encadrements de fenêtres en bois sont pourris. Un morceau de la façade s’est effondré. Une partie du toit s’est envolée lors de l’hiver précédent. La première partie de l’étude qui nous est confiée, consiste à choisir entre la démolition pour reconstruction et la réhabilitation de la bâtisse pour abriter les logements. Les deux faisabilités montrent que les prix sont comparables.

Tout le monde pense qu’il faut démolir. Nous mesurons, à ce moment-là, à quel point l’idée du neuf, du progrès restent des valeurs dominantes et s’opposent aux besoins réels qui sont pourtant devenues les nôtres ces dernières années. En particulier, dans cette économie de subsistance qui caractérisent les zones rurales, le réemploi, le besoin de « faire avec », l’utilisation de matières « déjà là » apparaissent comme les outils indispensables de l’architecte. Nous résistons. D’abord, nous proposons une solution alternative où une partie des volumes en place est conservée et s’articulent avec une reconstruction sur le pignon Sud. Finalement, l’état orientant sa politique vers la réhabilitation, les subventions pour le logement social neuf en zone rurale disparaissent, c’est la réhabilitation qui est choisie par les élus.

Il y a aussi la question culturelle. Le bâtiment ne présente pas une valeur patrimoniale exceptionnelle, il s’agit d’une ferme en pierres en train de rejoindre les dizaines de ruines couvertes par les ronces des hameaux des monts du Livradois. Mais cette idée de patrimoine banal nous intéresse.

La ferme occupe une place symbolique en haut d’une butte, c’est un marqueur fort du paysage de cette petite vallée et du hameau de Terrolles. De plus il y a cette patine sur la pierre, les lichens, les mousses, une couleur caractéristique de ces villages. Dans une construction neuve, nous savons que nous sommes incapables de reproduire le temps qui passe, cette histoire chuchotée du lieu. Enfin nous percevons les grands volumes existants de la grange comme le formidable potentiel d’une qualité de vie future à des années lumières de la production courante des logements sociaux métropolitains.

Les façades de la ferme racontent son histoire, ses différentes vies, les étapes de construction, les entretiens paysans d’hiver, ce morceau de mur reconstruit, ces quelques tuiles remplacées. Dans un patchwork apaisé par le temps, on repère de vieux enduits à la terre, des pierres de taille grossières, des pierres des champs appareillées, les restes d’une campagne de rejointoiement ici, la réparation d’un mur effondré là.

Le patrimoine est fondé sur la notion d’exceptionnel. Les habitudes institutionnelles reconnaissent et protègent le patrimoine parce qu’il est rare ou parce qu’il est un monument, remarquable pour sa fonction passée. Pourtant, ce patrimoine courant est aussi une richesse, à la fois paysagère bien sûr mais aussi patrimoniale, au sens de celui qui possède le bien et qui ne pourrait pas le reconstruire pour le prix de sa valeur mobilière.

L’aspect vernaculaire du béton

Cet aspect dégradé, ces « bricolages » confèrent au bâtiment existant une esthétique singulière tout à fait intégrée au paysage délavé, patiné, caractéristique des autres maisons du hameau. Les réhabilitations publiques de bâtiments agricoles cherchent souvent à singer les constructions neuves par la mise en œuvre d’enduits colorés et installent de cette manière une architecture rutilante en rupture avec le paysage local.

                  Nous avons plutôt choisi de nous appuyer sur cette esthétique de la ruine, pensant que l’installation de trois logements sociaux dans un hameau de quatre maisons était déjà une greffe suffisamment difficile en soi pour ne pas construire, en plus, un objet iconoclaste. Le projet navigue au milieu de cette contradiction : réparer lourdement une construction existante pour accueillir des logements neufs tout en conservant la poésie des façades du vieux bâtiment. Malgré le caractère très disparate de la façade, nous avons d’abord choisi de ne pas refaire les enduits existants et de conserver les pierres lorsqu’elles étaient apparentes. Ensuite le sujet principal était le remplacement des parties de façades abimées, les cadres en bois pourris des ouvertures et les réparations récentes en parpaings industriels. S’agissant d’un bâtiment agricole, il existait une grande disparité de mesures, de formes dans les ouvrages à reprendre : cadres d’ouvertures, escalier extérieur, angles de façade, etc.

                  A la recherche d’un thème de transformation paysanne, nous avons décidé d’utiliser le béton coffré en place comme la matière malléable nécessaire aux adaptations ponctuelles, aux fruits des murs, aux angles biais, aux décalages. La maçonnerie de béton nous estapparue comme la matière vernaculaire par excellence. Le maçon a installé une centrale mobile de chantier pour fabriquer son béton sur place au grès de l’avancée des coffrages, réalisés à mesure, en piochant simplement dans le tas de planches non rabotées de la petite scierie voisine.

Comme les archéologues de ce patrimoine banal, nous avons dessiné le relevé de tous les ouvrages singuliers, pierres de jambage, de linteaux, ouvrages en bois, construisant une sorte d’encyclopédie du cadre de fenêtre. Le projet s’inscrit dans le passage de l’ouverture existante, porte de grange, ventilation de la fenière vers la porte d’entrée d’un logement, la fenêtre d’une chambre, etc. Articulant murs existants en pierres, coffrages en planches de sapin, serrureries en métal et menuiseries en mélèze, le projet distingue les deux faces de la ferme, les deux paysages. La façade Ouest ouverte sur le petit espace public du hameau est une réinterprétation du dessin d’origine des baies et de l’escalier de grange. A l’inverse les façades Est et Sud ouvrent, en toute liberté, de nouvelles fenêtres, généreuses, sur le paysage.

Le luxe à l’intérieur

Le grand luxe du projet est la réutilisation des vastes volumes de la grange initiale. Les espaces singuliers que permettent les doubles-hauteurs, les mezzanines, les demi-niveaux, les rampants sous toiture ont disparu de la production récente du logement, qu’il soit social, libre, neuf ou en réhabilitation. Il y a toujours une bonne raison de faire un faux-plafond.

Dans le T5, l’espace de vie embrasse toute la hauteur de l’ancienne grange jusqu’à la nouvelle ferme en bois, il est traversé par la lumière d’Est en Ouest, du panorama de la vallée vers l’ambiance domestique du couderc du village. Les espaces de nuit sont séparés par un grand meuble en bois vertical, cuisine aménagée, escalier éclairé et grand bureau de mezzanine sous les toits. Dans un jeu d’imbrication savante avec la cage d’escalier, la partie sud de la grange abrite les quatre chambres, distribués sur quatre niveaux, comme autant d’espaces indépendants, intimes. Les paliers sont des espaces de vie, chaque chambre est singulière, hauteur, largeur, lumières et vues changent.

Coté Nord, un T3 de plain-pied, ouvert sur une terrasse, est aménagé pour satisfaire aux besoins de personnes âgées. Il est aujourd’hui habité par une vielle dame. Au dessus, le dernier logement est un T4 dont l’accès est assuré par un escalier extérieur en béton, en lieu et place de l’ancienne passerelle de grange. Installée dans la partie la plus dégradée du bâtiment, la pièce de vie traverse le corps de ferme. De part et d’autre, des ouvrages reconstruisent les façades dégradées, des fins montants en béton, comme menuisés, encadrent le jardin d’hiver donnant à l’Ouest sur le hameau. A l’Est, dans le salon, un grand cadre en béton s’ouvre sur le paysage spectaculaire de la vallée.

L’argent économisé sur les ravalements de façade nous a permis de réaliser tout le mobilier fixe, assemblé sur mesure, en pin local, par un menuisier de la région. A nouveau il s’agit là de combler une des lacunes habituelles des logements sociaux, livrés sans aménagement à l’exception d’un ou deux placards coulissants de la gamme dite « de chantier ». Le problème est que les locataires n’ont ni les moyens, ni l’envie d’investir dans un logement qu’ils quitteront un jour. En conséquence, ils vivent dans une sorte de campement, de bricolage provisoire ou dans le meilleur des cas au milieu d’un intérieur Ikea. Conscients de cela, nous avons apporté beaucoup de soins dans le dessin de meubles, les filtres en bois de l’escalier, le grand bureau familial comme garde-corps, les cuisines équipées, les placards aux portes pleines, robustes, ouvrant à la française.

A la fin du chantier, au moment des finitions, certains ouvriers parlaient d’un luxe inapproprié, s’inquiétant des futures dégradations que les locataires forcément peu scrupuleux ne manqueraient pas d’opérer sur des logements « sociaux ». Les trois-quarts de la population des zones rurales ont accès aux logements sociaux. Il faut voir aujourd’hui le goût et le soin avec lesquels ses « voyous » ont meublés, décorés leurs intérieurs. Ce luxe, ce confort intérieur qui s’opposent à la rudesse des façades est simplement la chance donnée à ceux qui viennent habiter là, de passer un bon moment de leur vie. En 2016, ces 3 logements sociaux de campagne ont remporté l’ArchiDesignClub Award 2016 dans la catégorie Intérieur au coté d’un hôtel de luxe, de bureaux sur les Champs Elysées ou d’un bar branché dans le Marais parisien.

Boris Bouchet